Analyse

Entre Européens, les inégalités de revenus diminuent

En dix ans, les inégalités de revenus ont diminué en Europe. Dans les pays d’Europe centrale, le rattrapage est impressionnant. Mais en Europe du Sud, les pauvres subissent un revers majeur qui a épargné les plus aisés. Un extrait de l’analyse de Zsolt Darvas, économiste du centre de réflexion Bruegel.

Publié le 22 février 2019

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Revenus Niveaux de vie

[...] Les 20 % les plus pauvres des Européens percevaient 5 % du total des revenus du continent en 2007 [1], une part qui a progressivement augmenté, pour atteindre 6 % en 2016. Cet indicateur montre d’abord l’ampleur des inégalités : cette catégorie reçoit une part du gâteau très inférieure à son poids dans la population. Toutefois, l’évolution sur dix ans témoigne d’un rattrapage [2]. Le deuxième groupe, compris entre les 20 % et les 40 % les plus pauvres sur l’échelle des revenus, a également bénéficié d’une augmentation de leur part dans le revenu total, de 11,7 % en 2007 à 12,3 % en 2016.

À l’opposé, les 5 % les plus riches parmi les habitants d’Europe – qui percevaient 16,3 % du total des revenus de l’Union en 2007 (et même 16,7 % en 2008) – ont subi une légère érosion de leur part, réduite à 15,7 % en 2016. La deuxième tranche la plus riche, située entre les 5 et 10 % les plus riches de la population, a aussi connu une baisse, certes minime, de sa part dans le revenu total entre 2007 et 2016. Ainsi, en moyenne, les revenus les plus bas se rapprochent des classes moyennes en Europe pendant que les plus élevés reculent légèrement. Le coefficient de Gini [3] à l’échelle européenne diminue donc, sous le double effet de l’évolution du haut et du bas de la distribution des revenus.

Part dans l'ensemble des revenus européens. En niveau de vie après impôts et prestations sociales. Union européenne à 27 (hors Croatie). Lecture : en 2016, les 5 % les plus riches parmi les Européens reçoivent 15,7 % de l'ensemble des revenus d'Europe, après impôts et prestations sociales.

Source : Eurostat, calculs de l'auteur. – © Observatoire des inégalités

Graphique Données
Quelques précisions sur les données et la méthodologie
Les données de chaque pays sont exprimées en parité de pouvoir d’achat. Elles tiennent donc compte des différences de coût de la vie entre pays (par exemple, les prix au Luxembourg sont beaucoup plus élevés qu’en Bulgarie. Avec un euro, on peut acheter moins de biens au Luxembourg qu’en Bulgarie). Les revenus sont issus de l’enquête européenne EU-SILC dans laquelle les revenus tendent à être sous-estimés. En effet, une partie des femmes de ménage, des ouvriers du bâtiment, des avocats, des médecins, etc. ont tendance à minimiser les revenus qu’ils déclarent à l’enquêteur. Malheureusement, je ne peux pas préciser l’ampleur de cette distorsion, mais je souligne que ce phénomène n’influence mes résultats que si cette sous-estimation a évolué sur la décennie.

La distribution des revenus entre Européens dépend à la fois des inégalités à l’intérieur de chaque pays et des inégalités entre pays. Les inégalités entre pays changent lorsque la santé économique d’un pays s’améliore (c’est le cas par exemple de la Pologne) ou qu’elle se dégrade (comme en Grèce). Prenons l’exemple de la Pologne. Le revenu moyen y est très inférieur à la moyenne européenne. S’il augmente en Pologne, alors l’inégalité globale au sein de l’Europe diminue car l’écart se réduit entre les pays riches et les pays pauvres d’Europe.

Pour mesurer l’évolution des inégalités au sein de chaque pays, on observe la part du revenu national captée par les mêmes tranches de population dans les différents pays d’Europe [4]. Parmi les 27 pays-membres pour lesquels les données sont disponibles de 2007 à 2016, la part des 20 % les plus pauvres a baissé dans 17 pays. Elle est restée stable dans cinq pays et a augmenté dans cinq autres. Dans la plupart des pays d’Europe, les plus pauvres ont ainsi vu leur situation relative se dégrader entre 2007 et 2016, bien que l’évolution 2015-2016 ait souvent été favorable aux plus pauvres. La part des 5 % les plus riches a diminué de 2007 à 2016 dans quatorze pays. Elle est restée stable dans deux et a augmenté dans onze pays. La situation des plus riches est donc très diversifiée selon les pays.

Dans quel pays habitent les plus pauvres et les plus riches d’Europe ?

Pour évaluer l’évolution globale des inégalités de revenus au sein de l’Europe, intéressons-nous maintenant à leur distribution par tranches de 10 % de la population européenne classées selon leur niveau de vie, en 2007 et en 2016. Ces tranches de population sont obtenues en classant l’ensemble des Européens selon leurs revenus, puis en les divisant en dix groupes de nombre égal. La première tranche représente les 10 % les plus pauvres, alors que la dixième tranche représente les 10 % les plus riches. En 2007, presque un tiers des 10 % les plus pauvres d’Europe vivaient en Roumanie et presqu’un quart en Pologne. Au total, les dix pays d’Europe centrale et de l’Est réunissaient 75 % des plus pauvres d’Europe. Le remarquable rattrapage de ces pays apparait lorsqu’on compare les situations à dix ans d’intervalle : leur part dans la tranche des individus les plus pauvres d’Europe est passé de 75 % en 2007 à 54 % en 2016. Cela reste une part importante et les pays d’Europe centrale font à peine leur apparition dans le club privilégié des 10 % les plus riches des citoyens européens, mais l’évolution est encourageante.

La sortie progressive des pays de l’Est des tranches les plus basses implique, par définition, que des habitants d’autres pays ont fait leur entrée parmi les plus pauvres. Pour simplifier, si certains montent dans le classement, d’autres doivent descendre. Pour que ces changements dans les positions relatives de revenus se produisent sans souffrance, il faut que les pays les plus pauvres s’enrichissent, sans que le niveau absolu des revenus des individus dans les autres pays ne baisse. Des citoyens des autres pays glissent alors vers les déciles inférieurs, non parce que leur niveau de vie a diminué, mais parce que celui des Européens de l’Est s’est élevé. C’est effectivement ce que l’on observe dans la plus plupart des pays d’Europe du Nord et de l’Ouest.

Mais les pays du Sud de l’Europe ont subi une crise économique qui a rendu brutale leur dégringolade sur l’échelle des revenus. L’Italie en 2007, par exemple, représentait 4,8 % de la tranche des habitants les plus pauvres d’Europe et 8,4 % de la deuxième tranche (les 10 à 20 % les plus pauvres). En 2016, ces proportions ont augmenté respectivement à 10,8 % et 13,5 %. En nombre d’individus, 6,4 millions d’Italiens appartenaient aux deux premières tranches en 2007. Ils sont 12,1 millions en 2016. Mais la crise n’a pas touché tout le monde de la même manière en Italie, ni, d’ailleurs, en Espagne. L’Italie représentait 11,8 % des plus riches d’Europe en 2007 (5,9 millions de personnes), part qui a peu baissé : 10,8 % en 2016 (5,5 millions). La dynamique est encore plus frappante en Espagne. Alors qu’un grand nombre d’Espagnols se retrouvent dans les deux premières tranches des revenus européens, la part de l’Espagne parmi les plus aisés a augmenté entre 2007 et 2016. En somme, les riches d’Italie et d’Espagne ont peu souffert (ils ont peut-être même vu leur revenu augmenter), pendant que les pauvres italiens et espagnols ont beaucoup perdu. La crise en Grèce s’avère plus égalitaire : riches et pauvres l’ont subie. Le nombre de Grecs parmi les 20 % les plus pauvres d’Europe a augmenté de 2,2 millions à 2,7 millions sur la période. Pendant ce temps, le nombre de Grecs parmi les 10 % les plus riches d’Europe est tombé de 660 000 à 110 000.

En conclusion, la diminution globale des inégalités de revenus en Europe est une bonne nouvelle. Elle reflète en partie les progrès du revenu des plus pauvres d’Europe centrale et de l’Est. Ceci dit, les plus pauvres du Sud de l’Europe ne peuvent en dire autant. Ils ont subi une crise majeure que leurs concitoyens les plus aisés ont à peine sentie.

Article extrait de « EU income inequality decline : Views from an income shares perspective », Zsolt Darvas, bruegel.org, 5 juillet 2018. Traduction d’Anne Brunner de l’Observatoire des inégalités.

Photo / © John Tsotras


[1Dans cet article, il s’agit de revenu après impôts et prestations sociales, NDLR.

[2Cette progression d’un point doit être considérée avec prudence étant donné les difficultés méthodologiques pour établir des données agrégées à l’échelle européenne, NDLR.

[3Le coefficient de Gini est un indicateur d’inégalités. Il compare l’état de la répartition des revenus à une situation théorique d’égalité parfaite. Plus il est proche de zéro, plus on s’approche de l’égalité (tous les individus ont le même revenu). Plus il est proche de un, plus on s’approche de l’inégalité totale (un seul individu reçoit tous les revenus). L’auteur montre l’évolution du coefficient de Gini en Europe dans un autre article « European income inequality begins to fall once again », Zsolt Darvas, Bruegel, 30 avril 2018, NDLR.

[4L’évolution des inégalités de revenus au sein de chaque pays est fournie en annexe de l’article par l’auteur.

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Date de première rédaction le 22 février 2019.
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