Point de vue

Pour en finir avec le revenu universel

Le revenu universel, aberration économique et sociale, est aussi une injustice. Rares sont ceux qui comprennent qu’il serait distribué aux riches comme aux pauvres. Il est temps de sortir de ce piège. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 2 juin 2020

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Revenus Pauvreté Niveaux de vie

Quand en finira-t-on avec ce revenu « universel » ou « de base » qui pollue le débat des idées depuis plusieurs décennies [1] ? La plupart des citoyens qui se disent favorables à ce concept pensent défendre un revenu minimum pour ceux qui manquent d’argent, alors que la proposition consiste à verser un revenu universel, donc à tout le monde. Donner de l’argent aux riches comme aux pauvres, sans distinction. De l’extrême gauche aux néolibéraux, les partisans des multiples variantes du revenu universel ou de base sautent sur chaque occasion pour ressortir leurs propositions et jouent de cette confusion. Ils ont profité de la crise sanitaire pour relancer leur communication. Notre pays a vraiment mieux à faire.

Ceux qui comprennent qu’un revenu universel serait versé à tout le monde n’ont souvent guère idée de ce qu’il pèserait en matière de dépenses publiques et comment le financer. Affichons la couleur. Pour faire l’addition, il faut d’abord un montant. Le plus souvent, les sommes présentées sont de l’ordre des minima sociaux que reçoivent déjà les plus pauvres, autour des 500 euros du RSA. Ces minima sociaux seraient remplacés par le revenu universel, sinon leur financement n’est même pas envisageable ! Bref : un cadre toucherait 500 euros de plus mais pas l’allocataire du RSA [2]. La perspective promet d’être populaire… Admettons que l’on opte pour un revenu universel à la hauteur du seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian, soit environ 900 euros par mois pour un adulte. C’est minimum qui serait déjà un grand progrès. Faisons les comptes 900 euros multipliés par 12 mois pour 50 millions d’adultes = 540 milliards d’euros (et encore nous n’avons pas compté les enfants). L’ensemble des dépenses de l’État se montent à 340 milliards par an, le budget de tout l’hôpital public 70 milliards. On mesure tout de suite l’enjeu.

On peut discuter, prétendre par exemple qu’on va récupérer de l’argent puisqu’on ne versera plus de minima sociaux (le RSA par exemple coûte 10 milliards par an), ni d’allocations logement (20 milliards). On peut aussi imaginer reprendre d’une main, par le biais de l’impôt, ce que l’on a versé de l’autre aux riches. Une usine à gaz dont l’intérêt est douteux. Dans tous les cas, jamais l’État ne sera en capacité de financer 540 milliards, ni même la moitié. Une hérésie, d’autant que l’argent serait distribué à tout le monde et non à ceux qui en ont le plus besoin. L’urgence de notre société est de moderniser les services collectifs, de la santé à l’école, en passant par la police ou la justice, de financer la transition écologique, pas d’aligner des chèques chaque mois pour tout le monde sans distinction. Le revenu universel est une aberration économique et sociale, tout simplement.

Le revenu universel n’est pas finançable, on pourrait facilement en rester là. Beaucoup trop de temps et d’énergie sont consacrés à ce débat. Pourtant, il demeure intéressant de tenter de comprendre les raisons de sa petite notoriété notamment chez les jeunes diplômés qui pensent sincèrement qu’il s’agirait d’un progrès. La première, c’est que toute une partie des actifs, et les jeunes en premier, souffrent des conditions de travail actuelles et cherchent à tout prix une porte de sortie. Le chômage, la précarité, les bas salaires, le déclassement, le manque d’autonomie sont le lot d’une fraction croissante des jeunes générations. On leur raconte la fable de la « fin du travail » alors que le nombre d’emplois a progressé de 900 000 au cours des dix dernières années [3]. Travail qui serait remplacé par un mirage à quelques centaines d’euros par mois. On peut comprendre qu’une partie d’entre eux soient séduits.

Le fondement de la répartition de la richesse, et donc des rapports sociaux, reste le travail. En acceptant le revenu universel, ils se mettent à la merci d’une société qui produit leur revenu et qui, du jour au lendemain, peut décider de l’arrêter. Quelle sera alors la solution pour eux ? Alléchant, un revenu universel digne de ce nom, celui qui permettrait vraiment de vivre à long terme (bien loin des 500 euros mensuels proposés le plus souvent et qui ne peut être inférieur au smic dans tous les cas) est un piège qui peut se refermer sur eux à la première occasion. C’est contre l’exploitation, la précarité, pour une juste rémunération et des conditions de travail dignes qu’il faut se battre, pas pour dépendre d’une aumône de la collectivité. Il faut être aveugle pour ne pas voir qu’une fois que chacun sera doté de son revenu universel et que l’on aura alors collectivisé plus du tiers des revenus, les entreprises pourront offrir des salaires encore plus faibles.

La seconde raison de la relative notoriété du revenu universel, c’est que nombre de citoyens, on l’a dit, défendent un revenu minimum moins indigne que celui qui est actuellement en place comme le RSA, et qu’il soit étendu aux 18-25 ans. C’est en fait cela qu’ils demandent en soutenant le revenu universel. Pas de l’argent versé aux aussi riches. Il faut qu’il existe des prestations universelles – comme l’étaient les allocations familiales – et que les riches bénéficient de notre système social. Un système réservé aux pauvres est un pauvre modèle. Encore faut-il fixer des limites à la redistribution.

La véritable urgence est de débattre du niveau de vie minimum que la société compte proposer aux plus pauvres. Ce que les rédacteurs du préambule de la Constitution de 1946 (article 11) ont appelé « les moyens convenables d’existence » et qui, 75 ans plus tard, manquent toujours. Comment expliquer qu’à 18 ans, on peut élire des représentants de la nation, mais ne recevoir aucun revenu minimum ? Avec Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités, nous avons proposé un revenu minimum unique de 900 euros pour un adulte. Cela coûterait une quarantaine de milliards d’euros au total soit sept milliards de plus que ce qui est actuellement dépensé. L’ordre de grandeur n’a rien à voir avec le revenu universel. Notre mesure, qui serait applicable immédiatement, représente par exemple un tiers du coût de la baisse de la taxe d’habitation pour l’État (qui compense la perte des aux collectivités locales). Elle permettrait d’augmenter le niveau de vie des cinq millions de personnes les plus pauvres. Il faut au passage réduire radicalement les conditions bureaucratiques d’accès aux minima sociaux qui doivent être attribués sur simple présentation d’une déclaration de revenus. Sans être universels, les minima sociaux doivent être attribués de manière bien plus simple.

Il est temps de sortir du piège du revenu universel, qui en dit long sur le niveau de réflexion actuel sur la redistribution de la richesse notamment à gauche [4]. La crise actuelle appelle des mesures rapides et fortes, pas des spéculations sans fin sur de l’argent magique. Il faut que les partisans du revenu universel qui œuvrent sincèrement pour le progrès social comprennent que s’il est universel, c’est un revenu pour les riches. Le débat devrait porter sur le montant du minimum pour les plus modestes et sur la manière dont on redistribue la richesse dans la société, pour que chacun puisse vivre mieux et que soient offerts à tous des services publics modernes de qualité.

Louis Maurin

Photo / © Thomas de Luze


[1On ne traite pas ici de la proposition de « revenu universel d’activité » défendue par la majorité qui n’a rien à voir et n’a rien d’universel d’ailleurs puisque cela consisterait juste à rassembler de prestations existantes. Ce nom a été choisi pour entretenir la confusion avec le revenu universel qui semble plaire aux médias.

[2Ce serait aussi valable pour les autres minima sociaux, les petites retraites, etc.

[3Voir « L’emploi progresse à nouveau, mais les inquiétudes demeurent », Centre d’observation de la société, octobre 2019.

[4Voir aussi « Face à la crise, arrêtons la démagogie. Un effort collectif est nécessaire », Louis Maurin Observatoire des inégalités, 15 mai 2020.

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Date de première rédaction le 2 juin 2020.
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