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Comment réduire les inégalités de salaires ?

On peut comprimer les inégalités de salaires par les deux bouts. D’une part, augmenter le smic, ce qui revaloriserait de nombreux métiers indispensables et réduirait les écarts entre femmes et hommes. D’autre part, instituer un salaire maximum. Les propositions de l’économiste Rachel Silvera.

Publié le 19 janvier 2023

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Revenus Femmes et hommes Catégories sociales Salaires

La moitié des salariées et des salariés du secteur privé perçoivent moins de 1 940 euros net par mois en équivalent temps plein, selon l’Insee (données 2019). 10 % gagnent moins de 1 319 euros, tandis que 10 % perçoivent plus de 3 844 euros. Le 1 % le mieux payé gagne plus de 9 103 euros net, soit environ 7,5 fois le smic. Mais on sait que même parmi ce 1 % se cachent de fortes disparités. Alors que le smic est simplement indexé sur l’inflation, que le salariat subit le choc de la crise sanitaire et de la hausse des prix, les revenus de patrons du CAC 40 ont progressé de 52 % en 2021 par rapport à 2019. Ces derniers ont touché en moyenne 7,9 millions d’euros [1], plus de cinq siècles de smic !

L’échelle des salaires est un choix profondément politique qui traduit l’échelle de valeurs d’une société. Qui plus est, s’attaquer aux inégalités de salaires est un levier important pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes.

On peut imaginer deux façons de procéder pour réduire ces inégalités. D’une part, en revalorisant les bas salaires ; d’autre part, en plafonnant les plus hautes rémunérations.

La crise liée à la Covid-19 a révélé à quel point le travail socialement utile est mal, peu rémunéré. Les métiers aujourd’hui essentiels et reconnus comme vitaux sont en grande majorité en bas de l’échelle des revenus ; ils sont dévalorisés socialement, symboliquement et financièrement. Il s’agit pour l’essentiel de métiers occupés par des femmes : infirmières, aides-soignantes, aides à domicile, mais aussi agents d’entretien ou hôtesses de caisse… Nous avons déjà montré dans de précédents travaux [2] que l’on ne reconnaît ni la totalité des niveaux de diplômes (notamment des diplômes d’État des professions de la santé par exemple, tels qu’aide-soignant ou puéricultrice), ni l’expertise et la technicité, ni le réel degré de responsabilités, ni enfin l’importance des contraintes physiques et nerveuses de ces emplois. C’est parce que ces emplois sont très féminisés et s’appuient sur des compétences considérées comme « naturelles » pour les femmes (aider, soigner, éduquer, nettoyer, écouter…), qu’ils sont sous-payés.

La revalorisation de tous ces métiers est donc un point d’appui essentiel si l’on veut non seulement réduire les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes, mais aussi que « les distinctions sociales soient fondées sur l’utilité commune », comme le veut notre Déclaration des droits de l’homme [3].

Salaire minimum décent

Outre la révision des conventions collectives et des référentiels de ces métiers dans la fonction publique, un levier d’action de l’État est de revaloriser le smic. On peut s’appuyer sur un « salaire minimum décent », fondé sur les budgets de référence de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes). Ce minimum permet aux gens non seulement de se loger, se chauffer, se nourrir, avoir accès à la santé, mais aussi de participer à la vie sociale, culturelle et à une base acceptable de loisirs. C’est un socle minimal, établi en 2014 à 1 500 euros mensuels net pour une personne seule, ce qui représente une hausse du smic de 20 % à 30 %.

Rappelons qu’une telle revalorisation sera un moyen de réduire les inégalités salariales entre les femmes et les hommes, puisqu’en 2020, selon la Dares, 59,3 % des salariées et salariés concernés par une hausse du smic sont des femmes, alors qu’elles ne représentent que 44 % des salariés du secteur privé. 12,7 % des femmes sont rémunérées au smic, contre 5,5 % des hommes, alors qu’elles sont plus souvent diplômées, notamment les plus jeunes [4].

À cela s’ajoute le poids du temps partiel car 43 % des salarié·es rémunéré·es au smic horaire sont dans ce cas, alors que cette forme d’emploi concerne 17,5 % de l’ensemble des salariés mais 30 % des femmes salariées. Bon nombre des « premièr·es de corvée » exercent dans des secteurs où le temps partiel est la norme (notamment dans le commerce, l’aide à la personne et le nettoyage).

Une mesure encore plus ambitieuse serait d’introduire un salaire minimum mensuel (et pas seulement horaire) pour inciter les employeurs à offrir des heures de travail suffisantes pour vivre décemment de son travail. Travailler au smic en temps partiel, c’est recevoir parfois 600 ou 700 euros par mois, ce n’est pas suffisant pour vivre dignement.

Seule une politique massive de revalorisation des professions les moins rémunérées permettra de remettre en cause la hiérarchie sociale des professions.

Plafonner

Régulièrement, la question de plafonner les plus hautes rémunérations se pose en France. L’une des promesses de François Hollande était d’imposer un écart de 1 à 20 aux dirigeants des entreprises publiques. En juillet 2012, le gouvernement socialiste a adopté un décret visant à plafonner les rémunérations des patrons d’entreprises publiques (ou majoritairement détenues par l’État) à 450 000 euros par an. Mais cette mesure correspond à une échelle de 1 à 25 et, qui plus est, dans la réalité, ce principe n’a pas été appliqué en totalité.

Récemment, la proposition de loi « pour une limite décente des écarts de revenus » [5] proposait d’introduire « le facteur 12 », c’est-à-dire un salaire maximal équivalent à 12 fois le smic : « au-delà d’un écart de 1 à 12, les rémunérations concernées et les cotisations qui y sont associées ne [seraient] plus déductibles du calcul de l’impôt sur les sociétés ». Ce salaire maximal pourrait atteindre cependant jusqu’à 20 fois le smic. Mais cette proposition de loi n’a pas été adoptée.

Un projet porté par la Fondation Copernic [6] est encore plus ambitieux et présente l’intérêt d’une méthode de calcul précise, puisque ce manifeste porte sur le moyen de financer le minimum décent fixé par l’Onpes (1 500 euros). Les auteurs définissent un « niveau maximum de ressources au-dessus duquel tout revenu supplémentaire distribué aux personnes les plus riches empêche, de fait, d’autres membres de la société de participer de manière minimale à la société ». Selon leurs calculs, pour assurer ce minimum décent, l’échelle maximale des niveaux de vie devrait être au maximum de 1 à 4, soit, pour une personne seule et après impôts directs, 1 500 euros comme minimum décent et 6 000 euros comme « niveau de vie maximum », ce dernier concernant moins de 2 % des salarié·es à temps complet. Au-delà de ce seuil, les revenus seraient taxés à 100 %.

Enfin, pour plafonner ce salaire maximal, il faut également s’attaquer à l’ensemble des éléments qui composent la rémunération et notamment à la part variable des salaires, c’est-à-dire aux systèmes de primes, de bonus extrêmement importants dans le haut de la hiérarchie salariale. Et ne pas perdre de vue qu’un plafonnement des très hauts salaires n’enlève rien à la nécessité d’une véritable « révolution fiscale ». Pour éviter que le salaire maximum soit contourné par d’autres formes de rémunérations (en actions par exemple), d’autres mesures visant la réduction des inégalités de tous les revenus (y compris financiers) et de patrimoine sont nécessaires, avec un élargissement de l’assiette [7] de l’impôt sur le revenu à tous les revenus financiers et du patrimoine, une augmentation du nombre de tranches et du taux d’imposition des tranches supérieures.

L’intérêt d’un salaire maximum serait surtout de frapper les esprits et de s’attaquer directement à ce qui rétribue (ou pas vraiment) le travail. Mais c’est avant tout une politique massive de revalorisation de toutes les professions les moins rémunérées et socialement les plus utiles qui permettra de remettre en cause en partie la hiérarchie sociale des professions.

Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférences à l’Université Paris Nanterre et co-directrice du réseau de recherche Marché du travail et genre (MAGE). Autrice notamment de Le genre au travail. Recherches féministes et luttes de femmes, avec Nathalie Lapeyre, Jacqueline Laufer, Séverine Lemière, Sophie Pochic, Syllepse, 2021.

Texte adapté de Réduire les inégalités, c’est possible ! 30 experts présentent leurs solutions, sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, 2021.


[1Rapport annuel sur les rémunérations des dirigeants, Proxinvest, novembre 2022.

[2Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires, Rachel Silvera, La Découverte, 2014.

[3Article 1 de la Déclaration des droits de l’homme, cité par le président de la République le 13 avril 2020.

[4« La revalorisation du smic au 1er janvier 2020. La proportion de bénéficiaires demeure élevée », Dares résultats, n° 042, ministère du Travail, décembre 2020.

[5Présentée par le député Dominique Potier à l’Assemblée nationale en juin 2020.

[6Vers une société plus juste. Manifeste pour un plafonnement des revenus et des patrimoines, Fondation Copernic, Les liens qui libèrent, 2019.

[7Assiette : montant de ce qui est taxable, sur lequel le taux d’impôt ou de contribution est appliqué.

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Date de première rédaction le 19 janvier 2023.
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