Le parcours d’une génération à l’école selon l’origine sociale
Au collège, les enfants d’employés et d’ouvriers sont presque trois fois plus nombreux que les enfants de cadres supérieurs. À bac + 5, c’est l’inverse. Que s’est-il passé ?
12 novembre 2019
https://www.inegalites.fr/parcours-generation-milieu-social - Reproduction interditeAu collège, les enfants d’employés et d’ouvriers sont presque trois fois plus nombreux que les enfants de cadres supérieurs. Au sommet des études supérieures, à bac + 6 ou plus, les enfants de cadres supérieurs sont sept fois plus représentés. Une étude du ministère de l’Enseignement supérieur [1] décrit la trajectoire d’une génération, celle qui a obtenu le bac en 2008, tout au long de ses études. Elle met en lumière la façon dont les écarts entre milieux sociaux se creusent au fil du temps.
Suivons la trace de ces jeunes au fil de leur scolarité, en commençant par le collège. Presque tous les jeunes d’une génération vont jusqu’en troisième : l’origine des élèves représente alors à peu près la composition sociale de la population active. Au début des années 2000, 17 % des élèves étaient des enfants de cadres supérieurs, et près de la moitié avaient des parents ouvriers ou employés [2]. Ces derniers étaient donc 2,9 plus nombreux.
Ces mêmes élèves ont passé le bac en 2008. Parmi ceux qui l’ont obtenu, un tiers étaient enfants de cadres supérieurs [3] et un autre tiers enfants d’ouvriers ou d’employés. Quasiment l’égalité. La part des enfants de cadres a donc doublé et celle des enfants de milieu populaire a baissé d’un tiers. Pour ces derniers, la fin de la troisième est un moment charnière, une part d’entre eux est orientée vers des filières courtes, voire abandonnent l’école.
Dans l’enseignement supérieur, la part des enfants de milieux les moins favorisés s’amenuise au fil des études. Dans les filières courtes (bac + 2), on compte près de deux fois plus d’enfants de milieux populaires que d’enfants de cadres, mais, à bac + 5, les enfants de cadres supérieurs sont trois fois plus nombreux, et même sept fois plus pour ceux qui obtiennent les diplômes les plus élevés à partir de bac + 6.
Comment évolue la composition sociale au fil des études ? Unité : % | ||||||||
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Élèves de collège en 2002-2003 | Bacheliers de 2008 | Ensemble de ceux qui poursuivent dans le supérieur | Sortis sans diplôme de l'enseignement supérieur | Diplôme bac + 2 | Diplôme bac +3/4 | Diplôme bac + 5 | Diplôme bac + 6 ou médecine | |
Agriculteurs | 3 | 2,6 | 2,6 | 1,9 | 2,9 | 2,8 | 2,9 | 1,0 |
Artisans, commerçants | 10 | 8,2 | 7,7 | 9,3 | 8,1 | 8,7 | 6,4 | 2,2 |
Cadres supérieurs | 17 | 33,0 | 36,4 | 24,5 | 21,6 | 30,5 | 52,1 | 73,2 |
Professions intermédiaires | 20 | 23,9 | 24,1 | 24,2 | 24,8 | 28,1 | 21,7 | 12,9 |
Ouvriers et employés | 49 | 30,8 | 27,6 | 37,0 | 40,8 | 28,5 | 16,1 | 10,1 |
Inactifs | 1 | 1,6 | 1,6 | 3,1 | 1,9 | 1,5 | 0,8 | 0,6 |
Ensemble | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 |
Rapport cadres / ouvriers et employés | 0,3 | 1,1 | 1,3 | 0,7 | 0,5 | 1,1 | 3,2 | 7,3 |
Source : ministère de l'Enseignement supérieur – © Observatoire des inégalités
Au bout du compte, parmi les jeunes qui ont eu leur bac en 2008, un quart des enfants d’employés et plus du tiers des enfants d’ouvriers n’ont pas poursuivi leurs études ou n’ont obtenu aucun diplôme de l’enseignement supérieur. Seulement 14 % des enfants de cadres sont dans ce cas. 55 % des enfants de cadres supérieurs obtiennent un niveau bac + 5 ou plus, contre 23 % des enfants d’employés et 13 % des enfants d’ouvriers.
Niveau de diplôme obtenu par les bacheliers de 2008 selon leur origine sociale Unité : % | ||||||
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Baccalauréat uniquement | Bac + 2 | Bac + 3 ou 4 | Bac + 5 | Bac + 6 ou médecine | Ensemble | |
Agriculteurs | 16 | 19 | 26 | 38 | 1 | 100 |
Artisans, commerçants | 26 | 17 | 28 | 28 | 1 | 100 |
Cadres supérieurs | 14 | 10 | 21 | 49 | 6 | 100 |
Professions intermédiaires | 22 | 17 | 29 | 31 | 2 | 100 |
Employés | 26 | 23 | 27 | 22 | 1 | 100 |
Ouvriers | 37 | 29 | 21 | 13 | 0 | 100 |
Source : ministère de l'Enseignement supérieur – © Observatoire des inégalités
Une partie de l’explication de ces inégalités se situe bien avant le bac, dès le collège et le lycée, où un tri s’opère. Les diplômes du supérieur sont marqués par les inégalités sociales car les filières du lycée elles-mêmes le sont. Les jeunes de milieux populaires sont beaucoup plus souvent orientés vers un lycée professionnel ou technologique. À niveau scolaire équivalent, une partie de ces jeunes n’osent pas non plus se diriger vers les filières prestigieuses, qui leur semblent inaccessibles. Non sans raison : l’enseignement supérieur lui-même reste élitiste et, pour certains, financièrement hors d’atteinte. Les bourses d’enseignement supérieur demeurent modestes et dans un grand nombre de filières, il est quasiment impossible de suivre convenablement ses études tout en menant une activité professionnelle.
Photo / CC-BY-NC-CD Camille Stromboni
[1] « Parcours dans l’enseignement supérieur : devenir des bacheliers 2008 », Note d’information du SIES, n° 6 - Septembre 2018, ministère de l’Enseignement supérieur, 2018.
[2] Calculs de l’Observatoire des inégalités d’après le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, données 2002-2003.
[3] Plus exactement : avaient au moins un parent cadre supérieur.
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