Cinq millions d’emplois demeurent fermés aux étrangers non européens

La fermeture d’une partie du marché du travail constitue l’un des facteurs du chômage des étrangers, et notamment des jeunes immigrés. Pour certains métiers qui demandent des compétences techniques précises – médecin, architecte, avocat, etc. – il est normal de définir des équivalences entre les diplômes, mais il s’agit souvent d’un artifice pour freiner l’emploi d’étrangers dans ces secteurs.
La légitimité de l’interdiction de très nombreux postes de travail est devenue douteuse au fil du temps : en quoi le simple fait d’être étranger hors Union européenne (ou pas) représente-t-il une difficulté aujourd’hui pour enseigner, posséder un bureau de tabac ou contrôler un train ? Le contraste est très grand entre les discours sur la « nécessaire diversité » ou le « refus des discriminations » et la lenteur avec laquelle est mise en œuvre la politique d’ouverture des emplois, dans la fonction publique en particulier. La Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) avait émis une recommandation en 2009 quant à ces pratiques qu’elle jugeait discriminatoires, à la suite de quoi une proposition de loi, visant à supprimer les critères de nationalité dans le secteur libéral ou privé, a été adoptée par le Sénat mais rejetée par l’Assemblée nationale en 2010. La loi « Égalité Citoyenneté » adoptée fin 2016 a permis de timides avancées, grâce à des amendements de députés, avec l’ouverture aux étrangers du métier de patron de pompes funèbres et l’ouverture aux Européens du métier de patron de bar.
gratuit Emploi5,4 millions d’emplois dans les secteurs public et privé demeurent fermés aux étrangers [1] non ressortissants de l’Union européenne, l’équivalent de plus de 20 % des emplois en France. Pour l’essentiel (4,3 millions), il s’agit de postes de la fonction publique, mais plus d’un million d’emplois du secteur privé sont aussi difficilement accessibles aux étrangers, du fait des conditions de diplôme requises ou d’une procédure d’autorisation préalable pour exercer ces métiers. Seule évolution notable depuis cinq ans : un étranger peut désormais devenir patron d’une entreprise de pompes funèbres.
Les emplois interdits du secteur public
4,3 millions d’emplois sont interdits aux étrangers non européens dans la fonction publique. La législation européenne a toutefois obligé les États à ouvrir les concours de fonctionnaires, mais aux seuls étrangers citoyens des États membres de l’Union européenne. Ces concours restent donc toujours fermés aux autres étrangers non européens, qui par exemple, ne peuvent pas devenir professeurs des écoles. Ces derniers peuvent en revanche occuper certains postes en tant que « contractuels » non titulaires. Leur statut est néanmoins plus précaire que celui des « vrais » fonctionnaires.
Seuls deux corps de fonctionnaires sont ouverts à tous les étrangers : les médecins des hôpitaux et les enseignants-chercheurs des universités, soit 150 000 emplois. Une grande partie des emplois dits « de souveraineté » (défense, impôts, police, diplomatie, etc.) restent totalement fermés aux étrangers, même européens, en vertu de la loi.
Des entreprises publiques qui disposent de salariés au statut proche de celui de la fonction publique interdisent également aux étrangers hors Union européenne de postuler. C’est le cas à la Banque de France ou au Commissariat à l’énergie atomique par exemple. L’enseignement privé pratique également cette restriction.
Des avancées ont toutefois été enregistrées : les statuts du personnel de la RATP, gestionnaire des transports publics parisiens, d’organismes de sécurité sociale et d’EDF-GDF, ainsi que de la Poste, ont supprimé en 2001 et 2002 la condition de nationalité pour le recrutement de leur personnel. Air France a ouvert ses portes aux étrangers après sa privatisation en 2003. Ces quatre statuts couvraient environ 450 000 emplois non accessibles aux étrangers. À la SNCF, la suppression du recrutement au statut de cheminot ouvrira en 2020 près de 120 000 emplois aux étrangers nés en dehors de l’Union européenne.
Emplois publics ou parapublics fermés aux étrangers | |
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En milliers | |
Administrations de l'État | 1 335 |
Militaires | 305 |
Collectivités territoriales | 1 466 |
Établissements publics (hôpitaux, universités, etc.) hors médecins hospitaliers et enseignants-chercheurs des universités | 891 |
Enseignement privé sous contrat avec l’État | 143 |
Statuts dérivés (SNCF, Banque de France) | 149 |
Total fonctionnaires et statuts dérivés | 4 289 |
Source : calculs de l'Observatoire des inégalités d'après ministère de la Fonction publique, SNCF, Open data, rapports annuels Banque de France et CEA – Données 2017 – © Observatoire des inégalités
Les professions fermées du privé
Plusieurs professions du secteur privé, souvent libérales, ne sont pas ouvertes aux étrangers parce que seuls les diplômes français y sont reconnus. Il s’agit généralement de professions médicales ou juridiques. Il est alors possible de les exercer avec une nationalité étrangère, à condition de posséder un diplôme français ou d’obtenir une équivalence. Un jeune étranger ayant fait des études en France peut, par exemple, occuper un emploi de dentiste s’il est diplômé d’une école française. Sinon, le processus de reconnaissance du diplôme étranger est très long, voire impossible selon les professions. On compte 27 000 médecins exerçant avec un diplôme étranger sur plus de 226 000 médecins en France, ou encore 2 300 avocats non européens sur 67 000 avocats recensés.
Les professions régies par des monopoles publics (débitants de boissons et de tabac par exemple) ou détentrices de pouvoirs d’officier de police judiciaire, d’état civil et ministériel (notaires, huissiers, capitaines de navire en mer) sont limitées aux Européens ou aux ressortissants de quelques pays offrant par réciprocité les mêmes avantages aux Français expatriés.
La liste ci-dessous n’est pas exhaustive mais reprend les métiers du secteur privé les plus importants numériquement. Un rapport parlementaire a dressé en 2010 la liste des cinquante professions fermées aux étrangers. Depuis, seule une dizaine de professions leur ont été ouvertes, à l’instar des démarcheurs financiers, des agents généraux et courtiers d’assurance, et plus récemment, des dirigeants ou gérants d’établissements de pompes funèbres. La profession de notaire a été ouverte aux seuls Européens en 2011, ainsi que celle de patron de café-bar en 2016. Celle d’expert-comptable a été ouverte en 2012 aux étrangers sous réserve d’une autorisation ministérielle après une épreuve d’aptitude.
Principales professions du privé fermées aux étrangers | |
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En milliers | |
Métiers interdits aux étrangers non européens | |
Débitants de boissons | 39 |
Buralistes (débits de tabac) | 25 |
Dirigeants de sociétés de sécurité ou de détective | 12 |
Notaires | 13 |
Officiers de la marine marchande | 7 |
Huissiers de justice | 3 |
Métiers où seuls les diplômes français sont autorisés | |
Infirmiers hors hôpitaux | 244 |
Techniciens de laboratoire médical | 45 |
Opticiens-lunetiers | 37 |
Manipulateurs d’électroradiologie médicale | 36 |
Orthophonistes | 26 |
Psychomotriciens et ergothérapeutes | 25 |
Ambulanciers | 14 |
Pédicures-podologues | 14 |
Diététiciens | 12 |
Orthoptistes | 5 |
Audioprothésistes | 4 |
Métiers soumis à une autorisation d’exercice préalable | |
Médecins | 226 |
Pharmaciens | 74 |
Avocats | 67 |
Chirurgiens-dentistes | 42 |
Architectes | 30 |
Sages-femmes | 23 |
Experts-comptables | 21 |
Commissaires aux comptes | 19 |
Vétérinaires | 18 |
Géomètres-experts | 2 |
Total | 1 083 |
Source : calculs de l'Observatoire des inégalités d'après ministère de la Santé, ordres et syndicats professionnels – Données 2018 – © Observatoire des inégalités
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[1] Qui n’a pas la nationalité française. Peut être né en France.