Analyse

Les inégalités territoriales de santé se réduisent-elles à la question des « déserts médicaux » ?

La population est en meilleure santé à Paris que dans le Pas-de-Calais, à âge équivalent. Faut-il en déduire que les inégalités de santé sont une question de territoire ? L’analyse d’Anne Brunner, extraite d’un article paru dans Horizon pluriel, le magazine de Promotion santé Bretagne.

Publié le 27 mars 2024

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La question des inégalités territoriales de santé apparait de plus en plus dans le débat public et les médias, reliée à la question des déserts médicaux. Or, ce n’est pas la seule approche à explorer. La géographie des inégalités de santé s’explique principalement par des inégalités sociales. Une lecture indispensable pour pointer les éléments nécessaires aux politiques nationales ou locales de santé.

Prenons l’exemple de l’espérance de vie : les données nous indiquent qu’elle diffère d’un territoire à l’autre. L’espérance de vie des hommes dans les Hauts-de-Seine est de 81,9 ans, soit cinq ans de plus que celle observée dans la Creuse, le Pas-de-Calais ou l’Aisne. Pour comprendre ces cinq années supplémentaires, il faut les mettre en regard de la composition sociale des territoires, observée en termes de niveaux d’éducation, de métiers exercés, de pauvreté, de chômage, etc. La population qui habite les Hauts-de-Seine, le Pas-de-Calais ou la Creuse n’est pas la même. Alors que plus des deux tiers de la population occupent des professions cadres ou intermédiaires dans les Hauts-de-Seine, plus de la moitié de la population active est ouvrière dans le Pas-de-Calais, l’Aisne et la Creuse. Or les hommes cadres bénéficient en moyenne de six ans d’espérance de vie supplémentaire par rapport aux ouvriers en France.

La géographie des inégalités de santé est essentielle pour comprendre l’état de santé des Français, et elle illustre aussi les milieux sociaux qui habitent les territoires. Un second exemple : la carte de la fréquence du diabète, selon l’Assurance maladie [1]. En 2020, pour 1 000 habitants, la prévalence [2] était de 49 à Paris, 76 dans le Pas-de-Calais, 93 en Seine-Saint-Denis et au-dessus de 100 dans la plupart des départements d’outre-mer. Ces données montrent nettement des inégalités territoriales de santé, ou plutôt, des inégalités de santé entre territoires. Une première conclusion pourrait être : le système de santé est moins bon là où le diabète est le plus fréquent. Cependant, en observant ces données également sous le prisme social, on identifie un risque de diabète beaucoup plus important pour les populations issues des milieux sociaux populaires et ouvriers, ce qui caractérise notamment les territoires du Pas-de-Calais, de la Seine-Saint-Denis et des Outre-mer.

À travers ces deux exemples, on voit comment les inégalités sociales et territoriales de santé sont à observer de manière complémentaire. Elles se construisent tout au long de la vie à travers les conditions de vie, de logement, la pénibilité du travail, l’accès au soin, le stress lié à la précarité, au chômage, le niveau d’éducation, l’alimentation, etc.

La manière dont on va comprendre la santé et ce qui l’influence, a un impact sur la manière dont on y répond en termes de politiques publiques, de prévention et de moyens. À quels niveaux agir ? Bien sûr, il faut s’assurer que chaque territoire dispose d’une offre de soin de qualité et accessible à tous et toutes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, même si la France dispose de l’un des meilleurs systèmes de santé au monde. Aucun territoire ne doit être délaissé. Mais réduire les inégalités sociales et territoriales de santé, c’est surtout mener des politiques de lutte contre la pauvreté, contre le chômage, l’insalubrité des logements, la pollution, etc. Cette lutte doit se faire à plusieurs niveaux : national et territorial. Les politiques publiques, même au niveau local, ont une influence sur les inégalités de santé.

S’appuyer sur des données sociales et territoriales pour observer des inégalités est essentiel pour comprendre la situation d’un territoire et mener des politiques publiques adaptées. Cela ne signifie pas que les inégalités sont dues au territoire, mais invite plutôt à adapter les moyens à la santé de la population d’un territoire, à sa composition sociale et à ses conditions de vie.

Anne Brunner de l’Observatoire des inégalités

Adapté de « Observer les inégalités sociales et territoriales de santé », Anne Brunner, propos recueillis par Isaline Collet, Horizon pluriel, Promotion santé Bretagne, janvier 2024.

Photo / CC Sweet Life


[2Données de 2020, standardisées sur l’âge et le sexe et par département.

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Date de première rédaction le 27 mars 2024.
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