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Comment réduire les inégalités de logement ?

Pour réduire les inégalités face au logement, il faut d’abord aider les plus modestes à payer leur loyer et les charges. Mais cela ne suffit pas : il faut aussi construire davantage, notamment dans les zones les plus chères, des logements adaptés et accessibles à tous. Les propositions de l’économiste Pierre Madec.

Publié le 27 juin 2023

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Modes de vie Catégories sociales Logement

Le logement est le premier poste de consommation des Français. Il est au cœur de la question de la ségrégation spatiale et des inégalités de patrimoine. La fiscalité qui s’y rapporte [1] pèse plus de 80 milliards d’euros chaque année et ses aides publiques dépassent les 35 milliards d’euros. Le secteur représente un quart des consommations finales d’énergie et dépense davantage d’énergie que les industries et presque autant que le secteur des transports. Pour toutes ces raisons, le logement doit être au cœur des politiques publiques. Dans les faits, on en est loin.

Le mal-logement ne baisse plus. La production de logements, notamment sociaux, plafonne. Les inégalités territoriales en la matière ne cessent de croître. Le taux d’accès à la propriété des 25 % les plus pauvres a été divisé par deux en 30 ans. Et les réponses apportées par les pouvoirs publics n’ont cessé de se réduire. En 2019, la France a consacré 1,6 % de la richesse nationale produite dans l’année au soutien public au logement (aides au logement, logement social, construction neuve). C’est la plus faible part observée depuis plus de 20 ans, alors que la dépense en logement des ménages a augmenté de 58,5 % en volume, c’est-à-dire corrigé de l’inflation. Alors que faire ?

À court terme, il faut aider les ménages à payer leur loyer et leurs charges. Les aides au logement ont fait l’objet de restrictions budgétaires successives. Résultat, elles sont largement déconnectées des réalités des marchés locatifs, privé comme social. Aujourd’hui, pour une grande majorité d’allocataires, chaque augmentation de loyer subie ne se traduit plus par une augmentation des aides personnelles au logement. Dès lors, le taux d’effort des ménages allocataires, c’est-à-dire le montant de leurs dépenses en logement rapporté à leur revenu, ne cesse d’augmenter. Les locataires du parc privé appartenant aux 10 % des ménages les plus pauvres dépensent en moyenne plus de 35 % de leur revenu pour se loger, et ce une fois les aides déduites ! Si celles-ci permettent de diviser leur taux d’effort par deux, cela n’est clairement pas suffisant. À ceux qui seraient tentés d’affirmer qu’« augmenter les APL, c’est augmenter les loyers », il convient de répondre que les loyers n’ont pas attendu les revalorisations d’APL pour croître et que dans un pays où les loyers sont encadrés dans l’ensemble de ses grandes agglomérations, cette assertion n’a pas de sens.

Bien évidemment, l’augmentation des aides au logement ne peut pas être l’unique réponse à apporter. À moyen terme, il faut que l’offre de logements dans les zones les plus chères s’accroisse. Et fortement, si on croit aux évaluations économiques visant à mesurer la réaction des prix à une augmentation de l’offre de logements. D’après la littérature économique, l’augmentation du nombre de logements de 1 % supplémentaire (soit l’équivalent d’un doublement de la production annuelle) permettrait de réduire les prix de… 1,5 %. Si, bien évidemment, il faut construire dans les zones les plus tendues, on voit bien que le « choc d’offre [2] », promis par tous les gouvernements successifs, ne peut constituer l’alpha et l’oméga de la politique du logement. Plutôt qu’à « combien de logements ? », les responsables politiques devraient s’atteler à répondre à la question « quels logements et pour qui ? ».

Le rôle du logement social

Plus largement, la question qui se pose est celle du modèle français du logement : faut-il le soutenir plus vigoureusement ou faut-il le changer radicalement ? Concernant le logement social, un choix devra être fait. Pour maintenir à flot un modèle assez unique au monde, visant à la fois à loger les ménages les plus pauvres mais aussi à maintenir une certaine forme de mixité sociale – le tout financé par la collectivité à travers notamment le livret A –, et pour absorber une file d’attente dans le logement social (deux millions de demandeurs en 2020) et une mobilité dans le parc social qui ne cesse de décroitre, des moyens supplémentaires (financiers, réglementaires) devront être mis à disposition à la fois des bailleurs, mais aussi des collectivités locales dont l’investissement dans le logement social est rendu de plus en plus difficile. Dans le cas contraire, la France devra renoncer à son modèle du logement social et acter une bascule vers un modèle destiné quasi exclusivement à loger les ménages les plus pauvres. Alors, un effort devra tout de même être fait pour accélérer la production de logements très sociaux, aujourd’hui largement insuffisante.

Faut-il favoriser l’accession à la propriété ? Rien n’est moins sûr si l’on souhaite que les ménages soient plus mobiles sur le territoire. Il n’en demeure pas moins que les plus modestes qui souhaitent devenir propriétaires ont de plus en plus de mal à le devenir et qu’il faut aussi répondre à leurs attentes.

Pour rétablir un semblant d’égalité des chances face à l’accès à la propriété, des politiques publiques d’accession sociale à la propriété [3] doivent être engagées. La création des Offices fonciers solidaires (OFS) – qui permettent de n’acheter que les murs et d’être « locataire » du terrain et donc de faire baisser les prix tout en luttant contre la spéculation foncière – peut par exemple être massifiée. Pour l’accès au parc ancien, angle mort des politiques d’accession à la propriété à l’heure actuelle, de nouveaux mécanismes doivent être (ré)inventés : aides fiscales, prêts à taux zéro, aides directes à l’accession, les mécanismes ne manquent pas.

Il faut obliger les investisseurs institutionnels et les entreprises à réinvestir dans le logement

L’offre privée de logements locatifs ne cesse de se réduire dans les territoires les plus chers. Excluant ainsi les ménages des classes moyennes de nombreux centres-villes, repoussés vers les périphéries. La France a besoin d’un parc locatif privé abondant et abordable et donc d’investisseurs privés, qu’ils soient institutionnels (banques, assurances, etc.) – ils sont devenus largement minoritaires –, ou personnes physiques. Aujourd’hui, la participation des employeurs à l’effort de construction s’élève à 0,45 % de la masse salariale contre 1 % en 1992 – le « 1 % logement ». Il faut obliger les investisseurs institutionnels et les entreprises à réinvestir dans le secteur. Pour les bailleurs privés, si l’encadrement des loyers a permis de freiner les abus, peu de dispositifs incitatifs existent pour les retenir ou les attirer sur le marché de la location. La mise en place d’une vraie garantie universelle des loyers [4] ou encore de mécanismes fiscaux prenant mieux en compte à la fois le loyer fixé par le propriétaire mais aussi le prix d’achat du logement mis en location (selon la localisation, l’année d’acquisition, etc.) permettrait de rendre l’investissement locatif dans l’ancien plus attractif.

Enfin, quel que soit le chemin choisi, une tâche ardue attend les responsables politiques nationaux : la réforme de la fiscalité du logement et de l’immobilier. Si une refonte de la taxe foncière semble engagée, ce qui ne peut être que salué, une réflexion globale sur le modèle fiscal français portant sur l’immobilier reste indispensable. Aujourd’hui, sur les 80 milliards d’euros prélevés sur le secteur immobilier, 40 % impactent directement les ventes (droits dits de « mutation », taxation des plus-values, etc.) ou l’investissement (TVA, taxes locales, etc.). Dans un contexte où l’un des objectifs de la politique du logement doit être de favoriser les mobilités et la production de logements, cette répartition des recettes interroge. En outre, dans un contexte où les deux tiers des inégalités de patrimoine s’expliquent, selon l’Insee, par la forte concentration du patrimoine immobilier, une réflexion sur l’avenir de la taxation des successions, mais aussi du patrimoine immobilier, est nécessaire. Certes, ce dernier est le seul aujourd’hui à être taxé à l’impôt sur la fortune, mais celui-ci ne pesait en 2019 que deux milliards d’euros de recettes fiscales pour une valeur totale du patrimoine immobilier des ménages qui dépassait les 7 500 milliards d’euros, dont 750 milliards d’euros sont détenus par les 290 000 ménages les plus aisés.

Pour lutter contre les inégalités de patrimoine, de niveau de vie, les inégalités territoriales, les inégalités d’accès à l’emploi, les inégalités intergénérationnelles, la question du logement est centrale. Il n’y a plus qu’à la mettre au centre des politiques publiques.

Pierre Madec
Économiste à l’OFCE et enseignant à Sciences Po Paris. Auteur avec Jean-Claude Driant de Les crises du logement, PUF, 2018

Extrait de Réduire les inégalités, c’est possible ! 30 experts présentent leurs solutions. Sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, édité par l’Observatoire des inégalités, novembre 2021.

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[1Notamment les droits de mutation (l’essentiel des « frais de notaire »), la taxation des plus-values, la taxe foncière, la taxe d’habitation, l’impôt sur la fortune immobilière.

[2Choc d’offre : augmenter le nombre de logements disponibles (construction, mobilisation des logements vacants, etc.

[3Politique d’accession sociale à la propriété : dispositif d’aides destinées aux ménages les moins favorisés pour l’achat d’un logement.

[4Garantie universelle des loyers : dispositif prévu par la loi ALUR de 2014 pour apporter une assurance gratuite au propriétaire en cas d’impayé de loyer. Mais le décret d’application n’est jamais paru.

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Date de première rédaction le 27 juin 2023.
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